Ce coup-ci, Dr Stro va exceptionnellement prêcher pour sa corporation.
Yvon Le Men est poète. Depuis longtemps. Archi-reconnu. Yvon Le Men, jusqu'à l'année dernière, était intermittent du spectacle. Aujourd'hui, Pôle-Emploi Bretagne lui réclame 30 000 balles au motif qu'il serait « conférencier ».
Il n'y a pas de sot métier. Il n'y a que des métiers qui collent des migraines aux préposés de Pôle Emploi. Et alors leur vengeance peut être terrible. Quel est le code Rome de la poésie ? Personne n'en sait rien, alors que le métier de poète a existé quelques millénaires avant, mettons, ceux de chauffagiste, d'hôtesse de caisse ou de conducteur d'engins.
Que les revenus annuels du poète soient plus proches de ceux de l'hôtesse de caisse à mi-temps que de ceux de chauffagiste n'est pas en cause ici. Ce qui est en cause, c'est que la poésie est une activité qui ne repose sur aucun modèle économique défini.
La première erreur que font la plupart des gens, c'est de croire que, pour être poète, il suffit d'avoir un crayon, un bout de papier et une case en moins. C'est faux. L'écriture réclame du temps, de l'énergie, de la disponibilité, et donc du fric.
Alors certes, quelques organismes publics distribuent des bourses. On peut aussi s'en remettre au RSA, ou garder un travail alimentaire. C'est ce que font la plupart des poètes, mais aussi des éditeurs. Mais lorsqu'on essaie de produire une œuvre, la jonglerie organisationnelle permanente devient vite source d'épuisement et de frustration. Votre serviteur est bien placé pour le savoir.
Yvon Le Men n'est pas un jeunot. Né en 1953, il publie depuis 1974, notamment aux éditions Rougerie, Doucey ou La Passe du vent. Il travaille avec le comité d'organisation du festival Étonnants voyageurs. Et surtout, il sillonne la Francophonie pour aller au-devant du public, diffuser sa poésie et celle des autres.
Il ne faut pas considérer la lecture de poésie comme un à-côté promotionnel du livre : c'est une pratique remontant à la plus haute antiquité, et qui, c'est peut-être un effet vertueux de la crise de l'édition, tend beaucoup à se développer ces dernières années.
On parle d'ailleurs moins de lecture que de performance. Ce qui suppose en amont un travail sur la voix, la posture physique, l'utilisation du micro et de l'espace, voire la collaboration de musiciens, danseurs ou graphistes. Ce qui, par conséquent, réclame du temps, de l'énergie, un espace de travail.
Yvon Le Men avait trouvé la solution. Il était intermittent du spectacle. Ça lui permettait d'assurer ses arrières et de produire des spectacles de qualité. Et voilà qu'une machine sans visage lui sucre ses droits aux chômage et le somme de rembourser 29 796 euros au titre d'indemnités indues, sous prétexte qu'un poète, même habitué des performances, n'est pas quelqu'un qui travaille dans le spectacle.
Que Pôle Emploi s'arroge le droit de décider ce qu'est un geste artistique serait assez tordant si ça ne signifiait pas jeter un homme de 61 ans dans la pauvreté. Yvon Le Men a pris un avocat pour la première fois de sa vie. Comme il l'a dit, lui qui a « écrit quarante livres, [il ne sait] pas écrire une lettre de recours gracieux. »
Il a raconté son calvaire dans un long poème intitulé Fin de droits, illustré par Pef (éditions Bruno Doucey).
Dans cette vidéo, vous pouvez le voir interpréter ce texte, et le contextualiser. Allez directement à 14'50.
Une pétition est disponible ici.
Amis poètes, bonsoir.
Et bon courage.
Dr Stro